Dans le secteur de la mode et du luxe nombreux sont les groupes internationaux recherchant une implantation en France, voire l’ouverture d’un flagship store.
La conquête du marché français ou européen suppose l’engagement d’investissements parfois très conséquents (Publicité, force de vente, emplacements commerciaux etc…).
Dans ce cadre, il est fréquent que ces frais de démarrage soient en tout ou partie supportés par la filiale de distribution locale.
Conformément aux règles OCDE[1], l’administration fiscale reconnait qu’une société de distribution peut alors accuser des pertes pendant sa phase de pénétration de marché.
Toutefois, si cette phase de pénétration de marché est trop longue ou les investissements trop couteux, elle peut faire valoir que la prise en charge des investissements incombe à la tête du groupe propriétaire de la marque.
Le Conseil d’Etat, à l’encontre des décisions du tribunal administratif et de la cour administrative d’appel de Paris[2] donne son aval à cette approche qui permet au fisc de rectifier les résultats déclarés en France.
Dans cette affaire Ferragamo, entreprise italienne de chaussures de luxe créée en 1928 à Florence par Salvatore Ferragamo, a entrepris de partir à la conquête du marché français.
Dans le cadre de son développement, la filiale de distribution française créée en 1992, va supporter des pertes jusqu’en 2009.
Toutefois, alors que sans changer de politique de prix de transfert la filiale française commençait à dégager des bénéfices, l’administration a réussi à remettre en cause cette politique en montrant que le montant des salaires et charges externes de la structure de 2005 à 2010, notamment à raison du recours à un personnel de vente particulièrement qualifié et de la location de locaux commerciaux prestigieux, était sensiblement supérieur à celui des entreprises comparables » indépendantes « , sans que ce surcroît de charges ne soit entièrement compensé par un niveau de marge brute plus important que celui des comparables .
Le juge a en effet considéré que les dépenses visaient à accroître, sur un marché stratégique dans le domaine du luxe, la valeur de la marque italienne qui n’avait pas encore la même notoriété que ses concurrents directs. Ces dépenses incombent donc au propriétaire de la marque.
Bien que tel ne semble pas avoir été le cas pour FERRAGAMO France, une telle approche peut conduire l’administration fiscale, non seulement à remettre en cause les résultats dégagés sur la période vérifiée, mais également remettre en cause les déficits antérieurs..
De plus dans la pratique, la mise en œuvre des rectifications par l’administration est souvent extrêmement simple, voire simpliste.
Après avoir procédé à une analyse fonctionnelle des entités impliquées, l’administration met en évidence que la filiale de distribution assume des fonctions et des risques limités, qu’elle n’est pas à l’origine des décisions stratégiques relatives au développement du groupe en France ou en Europe, autrement dit qu’elle n’est pas l’entrepreneur principal.
Elle fait alors valoir que sa rémunération doit être déterminée selon la méthode transactionnelle de la marge nette conduisant généralement un résultat d’exploitation représentant entre 2 et 3 % du chiffre d’affaires.
Restera à voir si le juge suit l’administration fiscale en dehors du domaine du luxe, dans des secteurs où l’implantation en France n’a pas pour objet le développement de la valeur de la marque à travers un flagship store, mais simplement le développement d’une activité de vente.
L’administration fiscale lui fera-t-elle admettre que l’implantation en France vise à tester le marché européen en lançant des magasins pilotes[3] sans véritable espoir de rentabilité pour la tête de pont ?
[1] « Des pertes récurrentes intervenues pendant une période raisonnable peuvent se justifier par une stratégie commerciale consistant à fixer les prix à un niveau particulièrement bas en vue de pénétrer un marché ou d’accroitre les bénéfices à long-terme » (Rapport OCDE paragraphe 1.131)
[2] CAA de PARIS, 9ème chambre, 27/09/2018, 17PA02617, Inédit au recueil Lebon
[3] Selon une chronique de Franck Gintrand (Institut des territoires) de fin 2016, le développement massif des enseignes étrangères en France serait lié à la nature du marché français, mature et équilibré, souvent présenté comme un bon test d’entrée sur le marché européen avantagé par une région capitale, l’Ile-de-France, représentant un bassin de consommation sans équivalent sur le continent, idéal pour le lancement de magasins pilotes.